Le 18 Juillet 2018, BFM Business recevait Bertrand Vilmer, spécialiste du secteur aérien, lors d’une interview au sujet des commandes d’Airbus et Boeing suite au salon aéronautique de Farnborough.
Interview de monsieur Bertrand Vilmer
Journaliste : On parlera de Google qui est à l’actu du jour, mais on va quand même faire un détour sur ce salon aéronautique de Farnborough, vous savez qui a ouvert ses portes en début de semaine du côté de Londres, et où on assiste, pardon pour le jeu de mots, à une véritable rafale de commandes. Bertrand Vilmer est avec nous. Bonjour Bertrand. Bertrand Vilmer est spécialiste du transport aéronautique. Alors là, le salon a ouvert le lundi ; 55 milliards de dollars de commandes le premier jour, 60 milliards pour le deuxième jour. Mais à ce rythme-là, on va tenir celui du dernier salon où on avait fait 200 milliards sous 4 jours. On va le tenir. On est sur un secteur qui vraiment reste très très très très dynamique. Il n’y a pas d’inflexion quoi.
Bertrand Vilmer : C’est, je pense le mot qui peut qualifier ce secteur et pas seulement le transport aérien, c’est l’effervescence. On est dans le domaine de l’effervescence du transport aérien avec selon les analystes, une croissance de passagers par an, entre 4 et 5%. Et cette croissance quand on la projette sur 20 ans, et bien ça se traduit entre 30 à 40 000 avions de ligne en plus. Airbus et Boeing sont pratiquement au coude à coude. Ça dépend du type d’avion et des moments, mais pour vous donner un ordre d’idée, en 2017, Airbus a engrangé un peu plus de 1100 commandes d’avions et on a livré 760, ce qui est énorme avec un carnet de commandes qui dépasse les 1000 milliards de dollars. Donc, il y a une vraie effervescence sur la partie transports aériens. Mais un salon, c’est aussi une vitrine pour les autres secteurs aéronautique et spatial : c’est le domaine de l’armement. On en parle assez peu. Le domaine de l’armement, le marché de l’armement ne s’est jamais aussi bien porté et le salon d’Eurosatory qui s’est tenu dans la banlieue parisienne il y a peu de temps notamment au niveau des drones montre que c’est un secteur qui marche fort aussi.
Bertrand Vilmer nous parle du marché des monocouloirs à long rayon d’action
Journaliste : Moi je veux qu’on reste quand même sur le civil parce qu’apparemment il y a un nouveau champ de bataille sur un nouveau segment là qui se joue entre Airbus et Boeing. C’est ce qu’on appelle dans le jargon The Middle of the market. C’est-à-dire les avions qui allient les qualités des monocouloirs et des moyens courriers : long rayon d’action comme un long courrier, mais avec des coûts réduits comme un moyen courrier. Voilà ! C’est là-dessus que ça se joue aujourd’hui entre les deux grands constructeurs ?
Bertrand Vilmer : Je ne veux pas paraître trop cocorico, mais quelques fois quand ça a le mérite, il faut le dire. Airbus a une grande longueur d’avance. Pourquoi ? Parce que Airbus avec l’A321 XR ou l’XR, est un appareil qui peut traverser l’Atlantique avec 100/120 passagers. Or jusqu’à présent seuls les gros avions, donc avec deux couloirs pouvaient traverser l’Atlantique, pouvaient faire de grandes distances jusqu’à 7/8000 kilomètres. Donc qui dit gros avion dit beaucoup de passagers. Qui dit beaucoup de passagers dit hub, organisation du transport aérien pour réunir sur un point unique tous les passagers qui viennent de différents petits aéroports et là on les met en groupe, si je puis dire dans un gros avion qui va faire une grosse traversée. Maintenant, l’équation change complètement parce qu’on peut traverser l’Atlantique avec des avions qui ont des capacités beaucoup plus faibles en termes de passagers, notamment l’A321 autour de 100 passagers. 100 tonnes / 100 passagers grosso modo. Cet avion-là pourra partir de Bordeaux par exemple avec 100 passagers, aller à Baltimore directement avec 100 passagers et puis à Baltimore il pourra reprendre 100 passagers et revenir à Bordeaux. Actuellement, il n’y a pas le marché, je dis Bordeaux par exemple, pour transporter 400 passagers Bordeaux-Baltimore tous les ans. C’est pour ça que quand vous êtes Bordelais, pour aller à Baltimore il faut passer par New-York, par Paris puis New-York et Baltimore. Maintenant ce ne sera plus du tout le cas. Donc c’est une démocratisation, on va dire locale du transport aérien avec lles low cost qui se précipitent dedans puisque moins l’avion est lourd, plus son coût de possession est faible et donc les prix sont beaucoup plus faibles par rapport à un avion plus lourd.
Journaliste : Donc c’est ça qu’on appelle The Middle of the Market : long rayon d’action comme un long courrier, mais avec des coûts réduits comme ceux d’un moyen courrier finalement. C’est ça le grand défi.
Bertrand Vilmer : La réponse de Boeing c’est le B797 qui serait une espèce de 737 long range si je puis dire avec les réservoirs supplémentaires. Ce n’est pas encore décidé bien sûr, c’est à l’étude, mais cette décision, elle interviendra en 2019, 2020. Le temps de certifier l’avion, de le mettre au point en 2 ou 3 ans. Airbus pendant 5 ans, il a un boulevard devant lui. Sur ce, ça va changer les cartes, notamment au niveau des Low Cost, ça va changer les cartes, très nettement. C’est vraiment un élément central de Farnborough.
Journaliste : Bertand Vilmer, cela sonne le glas définitivement des très gros porteurs ou pas finalement pour vous ?
Bertrand Vilmer : Non. Parce que les hub restent les hub. Il y a plus de personnes qui veulent aller à New-York, à Paris qu’à Bordeaux, pour reprendre mon exemple, mais ça démocratise le transport aérien au niveau local et surtout les low cost peuvent arriver à faire du long courrier avec des coûts du court courrier. L’A321 c’est l’A320 allongé. C’est la famille À 318, 319, 320. Donc c’est du mono-couloir et donc le coût unitaire par passager est beaucoup plus faible.
Journaliste : Donc on parlera de l’A380, de ces gros porteurs pour vous dans les prochaines années ?
Bertrand Vilmer : Oui, très certainement. Après, encore une fois, le nombre de passagers croît d’années en années, toutes les études le montrent. Donc, il y aura de la place pour tout le monde. Maintenant la stratégie sur les low costs en termes de coûts de possession et de coût unité/passagers subit une vraie rupture dans la stratégie avec ces Middles of the Market.
Bertrand Vilmer analyse l’impact du Brexit sur l’industrie aéronautique
Journaliste : C’est de ça qu’on parle à Farnborough, en Grande-Bretagne. Mais je veux qu’on dise un petit mot sur les éventuelles incidences du Brexit sur l’industrie aéronautique. Ça risque de se terminer dans un bain de sang du point de vue de l’emploi pour l’industrie locale si on a ce qu’on appelle un Hard Brexit mais du côté d’Airbus aussi on s’inquiète. Il se dit que ça risque de désorganiser la chaîne de production. Pour vous, il ‘&(éy a un vrai sujet pour Airbus à ce niveau ?
Bertrand Vilmer : Alors là, je vous renvoie aux déclarations de Tom Enders, patron d’Airbus, il y a quelques heures. Il a dit de façon pragmatique que si l’on s’orientait vers un Brexit dur, pour parler court, avec des frottements fiscaux ou douaniers quand une pièce passe la frontière, pour parler très simple, alors lui il étudiera la délocalisation. Et il faut savoir que l’ensemble des ailes des avions Airbus sont fabriqués en Grande-Bretagne. Donc c’est des milliers d’emplois plus bien sûr les emplois induits. Donc c’est tout un écosystème au niveau de la fabrication qui peut s’écrouler. Et donc ça, c’est quelque chose qu’il n’est pas à prendre à la légère, mais tout de même quand je parlais d’effervescence tout à l’heure, les mesures protectionnistes des USA envers la Chine qui est un des premiers clients de Boeing n’y font rien. Le Brexit pas grand-chose, l’instabilité politique en Italie pas grand-chose, mais le transport aérien et bien il continue, il est sur les rails avec des perspectives de croissance qui sont extrêmement intéressantes.
Journaliste : Qu’est-ce qui peut se mettre sur la route des grands constructeurs finalement dans les prochaines années pour vous ? Quand on voit les carnets de commandes qui sont florissants pour les prochaines années, les carnets de commandes sont très très garnis…
Bertrand Vilmer : Historiquement, ce qui a nuit au transport aérien, c’est l’instabilité politique, c’est le terrorisme, c’est les crises, les conditions dans lesquelles les avions de ligne ne peuvent plus se poser. Si on arrive à ces conditions-là pour des raisons de crise importantes alors il est clair que le transport aérien va en souffrir. Actuellement ce n’est pas le cas, sauf dans certains pays, mais ce n’est pas des pays qui comptent de façon importante dans l’équation financière des compagnies ; je parle de la Libye, du Yémen. Si on revient au 11 septembre, il y aura un coup d’arrêt. Alors, personne ne le souhaite. Cet exemple n’est pas forcément le bon, mais historiquement il y a un précédent tout de même.
Journaliste : Pour l’instant en tout cas, tous les indicateurs sont ouverts. C’est le moins qu’on puisse dire, c’est un euphémisme de le dire pour les grands constructeurs Airbus et Boeing. Voilà, pour ce salon de Farnborough qui referme ses portes. Alors on a encore de quoi engranger… 200 milliards de commandes lors de la dernière addition. À ce rythme-là on peut encore les faire largement, étant donné le contexte qu’on vient de présenter. Merci beaucoup Bertrand Vilmer. Merci infiniment PDG d’Icare Aéronautique…
Pour écouter le podcast :
Pour en savoir plus sur Bertrand Vilmer :
https://www.icare-xp.com/cv-bertrand-vilmer.pdf